Des oiseaux de nuit m’ont raconté comment l’électricité a inversé l’origine du ciel. Du haut de leur vol nocturne, les lumières des villes, des routes, des ports et des aéroports ont remplacé les étoiles du ciel. Comme les marins et les voyageurs se dirigeaient jadis grâce aux repères des lueurs ou aux formes des constellations, les oiseaux ont perdu leur carte du ciel. La lumière du progrès leur a volé leur nuit. Voler sur le ciel impérial et électrisé des villes a inversé leur allure, immobilisé leur migration, restreint leur vue, déséquilibré leurs ailes et aveuglé leur sens. Contrariés par toutes les paillettes des lumières artificielles, ils marchent sur la tête, volent à l’envers, se fracassent dans les flashs électriques, crient et tournent en rond dans les impasses des ampoules, les pleins feux spectaculaires ou les guirlandes de diodes électroluminescentes. Voilà comment est arrivée la tragique légende du ciel inversé des oiseaux. Ce bouleversement a contaminé tous les animaux. Certains avaient déjà vu la forêt s’inverser, de même l’île brûler comme un lac de pétrole, la mer sécher comme bakélite, le sous-sol de la terre meuble se sédimenter en agglomérats nocifs, la vallée fondre comme glace ou la montagne d’or disparaître sous leurs pattes. Ainsi renversée, toute la nature a rêvé d’art, pour sortir des interminables galeries taxidermistes, pour imaginer le monde, le créer et le faire survivre au mieux de ses ruines séduisantes. Depuis lors, tels des volutes, par nuée, les oiseaux dessinent d’étranges images en mouvement pour conjurer le poids du ciel et l’aveuglement des pleins phares.
Notes de travail, à la recherche d’une mythographie des îles inversées, 2018.